Terre des riens inventés

Non, pas d'ennuis, déclara Zinéa. Je n'ai pas envie. Et on est dans un monde assez absurde pour s'occuper d'avoir des ennuis. Allez, on change.

Aussitôt dit, la Ki'hèm se mit à rapetisser, lentement, les yeux fermés. Ce n'était pas sa seule transformation, sa peau fine s'épaississait, prenait un aspect rugueux.
Des yeux sombres et dorés s'ouvrirent, quelques minutes après. Ils posaient sur les alentours un regard beaucoup plus détaché que celui de la Ki'hèm, qui pourtant ne s'embarrassait pas de grand chose.

Un petit feulement rauque s'échappa de la gueule de la dragonne, en même temps qu'un filet de fumée. Juste un soupir, dédié à quoi ?

Elle n'était pas bien impressionnante, à condition de ne pas être impressionné par les dragons d'environ 1 mêtre. Pourtant une aura particulière l'entourait, pas seulement chaque parcelle de lumière infime qui se reflétait à l'infini sur ses écailles parfaites, mais autre chose, autre chose qu'il ne fallait pas savoir.

Dépliant une aile, la dragonne leva la tête vers le ciel, sans sembler penser quoi que ce soit de ce qu'elle voyait. C'était là, c'est tout. Etait-ce beau ? La beauté était trop subjective pour que la dragonne voit un intérêt à se le demander. Peu de choses valaient la peine qu'on s'interroge, ne serait l'occupation agréable que cela procurait quand on en attendait pas de réponses.
La dragonne s'apprêtait à passer des décennies, des siècles ainsi, à écouter les différents silences de son monde, à penser. Aucun ennui, qui aucun événement qui puisse traverser l'infini de sa nouvelle perception.

Non loin de là, un amoncèlement de nuage volant très bas étaient devenus noirs de saletés, et commençaient à faire pleuvoir très dur.

Une des gouttes venait de se former, dans les nuages. Elle ne s'était pas sentie apparaître, juste, à un instant précis, elle était là, et elle tombait déjà.

Courte vie que la sienne. Le sol était bien près. Autour d'elle, une multitude d'autres goutte dégringolaient entre les courants de vents. Elle se sentait de temps en temps déportée, un instant elle failli fusionner avec une autre, mais la collision fut évitée. Tant mieux. Elle n'avait pas envie de passer du temps à se remettre en forme, à gérer l'Autre. Son existence lui laissait trop peu de temps pour même penser à s'interroger sur elle.

La goutte voyait la terre approcher. La terre dure, qui allait la faire exploser, si elle n'avait pas la chance de tomber dans un des ruisseaux qui s'était formé. Mais non, elle arrivait en éclaireuse, l'orage ne s'était pas encore abatu ici, et le sol semblait encore sec.

Qu'est ce qu'il allait y avoir, ensuite ? Quand sa vie de goutte serait morte ? Ses mollécules allaient se transformer, mais qu'allait-il rester d'elle ? Si l'orage durait, et qu'une flaque ou mieux, un courant se formait, ce ne serait tout de même pas elle. Ou peut-être un peu ?

Agn.... Dur.

Mais pas tant. Et au lieu d'exploser, la goutte se sentait rouler. Non, elle n'avait pas atteint le sol. Mais elle allait finir par y arriver, à continuer comme ça. La surface écailleuse qu'elle traversait menait de toute façon vers le bas. Encore un instant, le temps de perler, accrochée à un bout d'aile, une griffe noire...
Elle sentit quelque chose, qui la fixait elle, la goutte de pluie. Cela lui parut étrange, qu'on puisse s'intéresser à si petit et éphémère qu'elle. Des yeux d'or clignèrent, la regardant toujours, et la goutte sentit son être se figer.
Elle allait donc passer un peu plus de temps dans ce monde...

La dragonne contempla encore un bon moment la minuscule goutte d'eau qu'elle avait glacée, suspendue à son aile comme pour faire durer le dernier moment, puis s'envola délicatement pour se rapprocher de l'orage.